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Affiche de la rencontre littéraire bulgare

Rencontre littéraire bulgare : Les Doux, Anguel Igov, Vierge jurée, René Karabash

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Cet article est un compte-rendu de la rencontre littéraire bulgare : Les Doux de Anguel Igov, Vierge jurée de René Karabash, et leur traductrice Marie Vrinat-Nikolov, Lyon, Terre des Livres, 28/03/2024



Présentation de l’évènement

Jeudi 28 mars 2024, à 19h à la librairie Terre des Livres à Lyon a eu lieu la rencontre littéraire « Deux voix de la littérature contemporaine bulgare ». Animée par leur traductrice Marie Vrinat-Nikolov, Anguel Igov et René Karabash nous ont parlé de leurs romans. Pendant 1h30, une trentaine de personnes a assisté à l’évènement. C’est plus que ce qui était attendu ! Très bonne nouvelle, donc.

Cette rencontre littéraire bulgare met à l’honneur les romans Les Doux de Anguel Igov et Vierge jurée de René Karabash. Et ce en présence de leurs auteurs. La rencontre a été organisée par la librairie Terre des Livres en partenariat avec l’Institut culturel bulgare de Paris. Autre ouvrage présenté (en absence de son auteur) mais lié à la thématique de la soirée était Allemagne conte obscène de Victor Paskov.

Affiche de la rencontre littéraire bulgare
Affiche de la rencontre littéraire

Présentation des ouvrages et des intervenants

Le roman historique Les Doux est le fruit d’un long travail de recherche. Son protagoniste, le poète Emil Strezov, devient un des juges du Tribunal populaire mis en place de 1944 à 1945 en Bulgarie. Ce tribunal prononcera des milliers de condamnations dont de nombreuses mises à mort pour les « dissidents » et opposants au nouveau régime soviétique mis en place à ce moment-là. L’ouvrage suit ensuite l’évolution de Strezov, dont le pouvoir monte à la tête.

Vierge jurée, le roman de René Karabash qui prend place en Albanie, est le monologue (flux de conscience) de Matia, anciennement Bekia. À la veille de son mariage, Bekia est violée et décide de devenir une vierge jurée. Elle renonce à son identité de femme et prend alors le statut et le rôle d’un homme sous le nom de « Matia ». Pour des raisons d’honneur envers son ancien fiancé, cela provoque le kanun, loi albanaise, et entraîne une vendetta.

Marie Vrinat-Nikolov animé la rencontre en prenant pour fil rouge « le pouvoir et ses abus ». La discussion tourne alors autour de l’Histoire et de son interférence avec la petite histoire individuelle de chacun. Ponctuée de lectures d’extraits en bulgare et en français, les échanges des 3 intervenants nous dévoilent leurs inspirations et processus d’écriture.

Les Doux, Anguel Igov

L’auteur de Les Doux nous partage les 3 raisons principales qui l’ont motivé à écrire cet ouvrage. La première est le commentaire entendu un jour de la bouche d’un proche de son père. Ce proche avait évoqué sa participation au Tribunal populaire en tant que jeune juge. Il avait alors insisté pour condamner un accusé qui, en fin de compte, n’était pas si coupable que cela. La deuxième raison est qu’Anguel s’intéresse beaucoup à cette période de l’histoire bulgare. La troisième raison est que ce moment de l’histoire bulgare et plus particulièrement les années 1944-1945 sont très importants.

Les sujets du Tribunal populaire et de la période communiste en Bulgarie ont déjà été documentés. En revanche, ils n’étaient pas encore traités en littérature, ni sous forme de roman. Pour écrire son roman, l’auteur a consulté de nombreuses archives relatives à ce tribunal. Un des sources principales a été les journaux d’époque. Angel ajoute : « les journaux d’hier sont toujours plus intéressants que les journaux d’aujourd’hui ». Et ce, surtout pour la recherche.

Lors de ses recherches, il a remarqué la montée du fascisme et la cruauté de la jeunesse. La majorité des membres du Tribunal populaire était jeune. Néanmoins, et Anguel souligne cela à plusieurs reprises : ni l’Histoire ni les humains ne sont ou noirs, ou blancs. En effet, son ouvrage ne présente en rien une vision manichéenne des événements ou des personnages. Les figures, motivations et raisons des membres de ce tribunal sont diverses et variées. Certains l’ont été par opportunisme, ou par carriérisme, ou par désir de vengeance. Ou encore par attrait du pouvoir, de la mort, d’un moyen de sortir de sa situation, de la pauvreté. Parfois pour plusieurs raisons à la fois. Cela illustre que l’Histoire et les histoires individuelles ont plusieurs dimensions. L’Histoire et les histoires ne sont pas abstraites mais bien concrètes. Et Les Doux le montre.

Vierge jurée, René Karabash

De la même façon que Anguel Igov, l’autrice de Vierge jurée a mené des recherches, et ce pendant deux ans. Celles-ci se sont faites au moyen d’ouvrages (dont Avril brisé d’Ismaïl Kadaré) et des rares interviews des vierges jurées. René a voulu se rendre sur place, en Albanie, mais cela était difficile et risqué. Cela ne l’a pas empêchée de son ouvrage réaliste. En effet, des spécialistes d’Albanie à l’Université de Sofia ont cru qu’elle s’était rendue sur place pour se documenter et mener ses propres recherches.

René Karabash nous partage ses inspirations et motivations. Par cet ouvrage, elle a voulu documenter la violence, une des faces de la société patriarcale. Bien qu’extrême dans ce cas-là, l’autrice, qui a grandi en campagne bulgare, confie que le fond est le même, qu’on soit en Albanie, en Bulgarie ou ailleurs. La société est violente, la société patriarcale est violente.

Cette violence et les traumatismes qu’elle entraîne transpirent dans la narration de Vierge jurée. L’autrice la qualifie de « schizophrène ». En effet, écrit sans point ni majuscule, le flot de conscience et de parole de Matia n’est ponctué que de virgules. Le protagoniste se livre, raconte, crache ce qu’il a en lui et doit extérioriser. Et c’est justement ce contre quoi René nous met en garde : le protagoniste est-il fiable ? Qu’est-ce qui est vrai dans ce flot de souvenirs et de pensées ?

Les commentaires que René reçoit pour ce roman sont tous très forts et empreints de choc et de pitié. Ils évoquent la violence du sujet et les traumatismes souvent partagés. L’autrice aurait souhaité que des analphabètes, souvent plus victimes de traumatismes et ayant moins la possibilité d’en parler, puissent lire son ouvrage. Et ce dans le but de voir leurs réactions et comment ils se positionnent par rapport à ce récit.

Les voix : la traductrice Marie Vrinat-Nikolov

Marie Vrinat-Nikolov, principale traductrice de la littérature bulgare en français, nous dévoile elle-aussi une partie de son travail de traduction pour ces deux ouvrages et certaines de ses préoccupations, interrogations et difficultés.

Pour Les Doux en particulier, mais cela s’applique à toutes les traductions, elle souligne l’importance des sonorités. Pour cet ouvrage, elle prend en exemple l’annonce de la sentence des condamnés à mort. En bulgare, смърт (lire « smeurte »), « (la) mort », sonne comme un couperet qui s’abat violemment. En français, « (la) mort » sonne moins tranchant qu’en bulgare. Mais utiliser une autre traduction aurait alors éloigné l’effet voulu et malgré tout rendu en français.

Pour Vierge jurée, bien sûr, il fallait absolument garder le flot de conscience, et donc de mots, de Matia. Le protagoniste déverse ses pensées et nous submerge sous des souvenirs violents. Et l’effet de ces souvenirs produit sur le lecteur est décuplé par les mots qui s’enchaînent sans point, sans pause, sans moment pour respirer, reprendre ses esprits, reprendre son souffle.

Conclusion 

Cette rencontre littéraire bulgare avec Anguel Igov et son roman Les Doux, ainsi que Vierge jurée de Rene Karabash marque le renouveau des rencontres organisées par la libraire Terre des Livres. De par le nombre d’intéressés présents ce jeudi soir, tous ont pu voir que ET la littérature bulgare, ET les rencontres de ce type attirent du monde. La librairie, les organisateurs, les intervenants, les éditeurs et les participants autour de cette rencontre méritent tous d’être remerciés. Il ne reste plus qu’a espérer que d’autres suivront, surtout à Lyon.

À un niveau personnel, cette rencontre a été pour moi plus qu’intéressante et importante pour plusieurs raisons. La première est que j’ai pu assister à une manifestions culturelle en lien avec la Bulgarie, les Bulgares et le bulgare, et qui plus est à Lyon. Je me suis senti dans mon élément.

La deuxième raison de mon enthousiasme et de ma satisfaction est que les deux ouvrages et leurs points communs m’aident dans ma recherche. Cette recherche concerne les mémoires collectives et individuelles, les traumatismes, l’Histoire, l’époque communiste, les archives. Et tant Les Doux que Vierge jurée contribuent de ce fait à ma motivation mes inspirations et mon travail.

La troisième raison est que j’ai pu m’entretenir avec des Bulgares de Lyon et discuter de la vie culturelle bulgare à Lyon et des initiatives menées pour la développer. 

Enfin, la narration en continu de Vierge jurée m’a rappelé Adriana de Théodora Dimova, ouvrage également traduit par Marie Vrinat-Nikolov. Adriana est aussi un flot de parole où narrations, souvenirs et pensées se mêlent. Ceux-ci nous plongent dans les vies de plusieurs personnages aux vécus, traumatismes et préoccupations variés mais tous liés.

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